Antoine-Nicolas Duchesne, naturaliste qui sera pendant la Révolution inscrit sur la liste des " suspects ", laissa à la postérité de nombreuses publications dont un Manuel de botanique contenant les propriétés des plantes qu'on trouve à la campagne aux environs de Paris publié en 1766, mais aussi de nombreux manuscrits parmi lesquels une série de dialogues intitulés Promenades instructives d'un père et de ses enfants.

C'est ainsi que, le 21 mai 1786, ce futur professeur d'histoire naturelle à l'École centrale de Seine-et-Oise et au Prytanée de Saint-Cyr, puis censeur au lycée de Versailles relatait la promenade qu'il fit en compagnie de sa femme et de ses deux jeunes enfants à Andrési.

                  Jean Porracchia, président fondateur du Club Historique d'Andrésy

Vous avez reconnu sur la carte la première des Iles d'Andrési et nous avons aperçu les beaux arbres d'une autre île célèbre par des plantations fort variées que Madame la comtesse de Marsan y a fait faire pendant plusieurs années dans l'enfance du Roi et de ses frères dont elle était la gouvernante. Vous avez vu que cette île sembloit séparer de nouveau l'Oise et la Seine et en effet cette île et la suivante en séparent successivement les eaux de sorte qu'on en reconnoit encore la couleur à ce qu'on nous dit jusques tout près du pont de Poissi. On nous a dit aussi que lorsque la Seine est bien claire l'eau est, au contraire, bien plus verte et plus belle et que celle de l'Oise a toujours une nuance blanchâtre... La maison de M. Remi ou Laforge, suivant que vous l'appelerez de son nom de baptême ou de son surnom, car son nom de famille est Benoît, cette petite maison, dis-je, tient à l'église du côté de la rue et par en bas un passage de souffrance conduit dans la cour d'une grande maison appartenant à la famille Laforge et qu'on cherche à vendre depuis la mort d'un frère qu'il l'occupait. Vous connoissez tous ces détails mieux que moi, je ne vous en dirai donc rien mes enfans.

Vous parlerais-je d'un ancien usage qui subsiste dans beaucoup de paroisses de campagne : une partie des bans sont enfermés dans de petites balustrades de bois, celle de devant porte prie-Dieu. Chaque famille a son banc ou du moins les principales du lieu ; on nous a fait placer dans celui d'une maison de parents de nos hôtes. Vous y avez entendu la grand'messe et le prône que le curé a fait debout à la grille du coeur (sic) au lieu de monter en chaire et qu'il n'a fait aussi qu'après le Credo et l'offertoire, immédiatement avant la secrète. Ces usages peuvent changer aussi bien que tous ceux qui font partie de la discipline qui n'en est pas moins une quant à la foi et la charité.

Le village d'Andresi, ainsi qu'on le voit sur la carte, est fort allongé. Maurecour qui en dépend forme une sorte de village séparé le long de l'Oise ; le gros d'Andrési borde la Seine. On dit qu'il s'y trouve un bon nombre de maisons de campagne, cependant il n'en résulte rien de bien orné sur le bord de l'eau. La seule qui ait de l'importance est celle qu'occupoit Madame de Marsan surtout à cause de l'île décorée qui lui fait face. Un quai soutenu par un glacis de gazon et une rampe pour descendre au port ; une barrière au dessus, le quai bien uni couronné par la terrasse du devant du jardin entre les basse-cours et le principal corps de logis, voilà l'extérieur de la maison dont Madame de Marsan a donné la jouissance à sa nièce Mademoiselle de Condé. Vous avez remarqué le poteau qui porte défense de la justice du lieu d'entrer dans l'île sans permission. Le jardinier nous y a conduits.

Plusieurs grandes salles et allées de tilleuls avec une sorte de parterre dans le percé en face de la maison lui donnent un air noble de loin et elle le conserve également de près. Ces anciennes plantations n'occupoient que le milieu de l'île : les deux extrémités étaient en prairies. Il n'y a que vingt cinq ans environ que les petits bosquets des deux bouts ont été plantés. J'y ai vu avec plaisir divers arbrisseaux rares ailleurs et assez communs là pour qu'on en ait formé des palissades. Mais j'ai vu aussi qu'a part trois ou quatre espèces d'épines dont une à feuille de laurier, l'autre à feuille d'érable, tous ces arbres sont trop délicats pour résister aux intempéries de nos hivers surtout dans une île exposée aux inondations et aux passages des glaces qui brisent et gèlent en même temps ce qu'elles rencontrent.

Vous avez vu vous-même les dégradations du dernier hiver au bord d'une terrasse. Je vous ai fait remarquer dans un autre endroit des plançons de saules fichés en terre dans l'espérance qu'ils ont le temps de pousser des racines avant quelqu'autre coup de rivière et pourront retenir la terre. Ce soin est celui de tous les propriétaires intelligents.

Vous vous souvenez aussi sans doute du petit quai construit au bout de l'île jusqu'à fleur d'eau : on vous a dit qu'il avoir servi à l'amusement des princes. Tâchez de le retrouver sur la carte, vous verrez qu'en le plaçant ainsi en bout de l'île on y était plus à l'abri du soleil, mais il faut vous dire aussi que le poisson doit abonder dans ce petit canal de décharge du grand bras au petit parceque l'eau n'y est courante qu'autant autant qu'il le faut pour que le poisson s'y plaise. Ce sont pour eux des lieux de retraite et l'industrie de l'homme sait les y surprendre.

Dans cette partie se trouvent les saules et osiers de diverses espèces ; comme le nom des plantes communes et utiles changent d'un pays à un autre, j'ai demandé au jardinier comment on nommait les deux plus abondants : l'un est la Grisette, l'autre le chevrin. Ailleurs, le premier se nomme bullain, le second osier blanc. Cet exemple vous montre ce que c'est que la diversité des langues...

A l'autre bout de l'île est une salle ronde dont le milieu est tout entier de mente poivrée. On vous en a fait goûter, vous y avez trouvé le goût piquant et l'effet d'un froid apparent que laissent sur la langue les pastilles blanches qu'on nomme de mente parceque le sucre en est parfumé avec l'eau distillée de cette plante...

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