Paul FORT, poète français (Reims 1872 - Montlhéry 1960)
En 1897, paraît au Mercure de France, le premier volume de ses Ballades françaises. S'inspirant de l'histoire de la France, de ses héros, de ses légendes, et reprenant les thèmes éternels de la poésie, Paul Fort a trouvé un ton et une forme (la strophe où la prose se mêle aux vers sans distinction typographique) qu'il exploite avec une émouvante continuité dans cinquante-quatre volumes.
Certains poèmes sont devenus célèbres à juste titre, telle La Ronde autour du monde. Son style imagé, souvent familier, se prête bien à la chanson (Le Petit Cheval dans le mauvais temps, par exemple, interprété par Brassens).
En 1905, il crée la revue Vers et Prose qu'il dirige avec Paul VALÉRY : des oeuvres des écrivains les plus importants de l'époque (Laforgue, Jarry, Apollinaire, Carco, Gide, Claudel, etc.) y paraîtront jusqu'en 1914. Il contribue à "lancer" Montparnasse et reçoit le titre de Prince des Poètes en 1912.

LES NOCES DU FLEUVE ET DE LA RIVIÈRE

Ici, devant Fin-d'Oise, Maurecourt, Andrésy, Conflans-Sainte-Honorine - doux bruit font ces noms-là ! volée de cloches pour un mariage, dirait-on pas ?... ô poésie, ô poésie, ô poésie !...

Ici, sous les yeux bleus de ces quatre villages, on voit la Seine en fleurs s'unir à la belle Oise. Bien. Montez sur un pont suspendu et berceur. Embrassez votre amie et regardez ailleurs.

L'Oise est une rivière et la Seine est un fleuve, je l'ai de mes yeux vu ; d'autre part j'ai la preuve que pour aller ensemble courir tant de pelouses, la Seine offre son bras à sa trop jeune épouse.

0 noces vaporeuses que j'ai vues de ce pont suspendu et berceur, toute une heure amoureuse, vous me parûtes bien de ces noces heureuses où sous un même voile le couple se confond,

Le voile de la mariée, ohé ! Bien mieux encore - si l'image m'entraîne je n'en ai pas fini - je les vis sous les palmes de grands peupliers d'or, courir et s'embrasser tels Paul et Virginie.

Quoi ! Paul et Virginie mariés ? Oui. L'un portait une casquette ornée d'une fin drapeau français (tel m'apparut, du moins, ce chaland reposé), l'autre un collier de barques scintillant de rosée.

Qu'ils étaient purs !... Sans doute, avant leur doux pourchas, l'Oise eut quelque amourette, la Seine eut des faiblesses. Mes bons amis, la chose ne me regarde pas, qui ne saurait d'ailleurs troubler leur allégresse.

La crécelle d'un gouvernail tourne là-bas. 0 le joli joli joujou pour l'enfant qui viendra ! En tout bien tout honneur, à son heure il viendra. On le nommera l'Eure et des choux il naîtra.

Tout danse autour de vous la danse du mariage, Seine, beau mâle et vous petite oie, petite Oise, les rives, les coteaux, les vignes et cætera, dans les vapeurs tout danse et ma belle à mon bras.

Taratata ! Voici qu'au son de la trompette, à sauter dans les barques une noce s'apprête. Laissez-moi naviguer tous ces joyeux pantins. Mes beaux époux, il faut courir votre destin.

0 joie ! il faut courir ! - La mer est votre sort. - Il faut courir, hélas ? - Et la mer c'est la mort. - Triste à songer. - Mais non. Par un bout vous mourez... mais à l'autre, déjà, la noce est préparée. "

Et je voudrais savoir comment - époux fidèles - dans la foule des fleuves qui se perdent au ciel, vous pouvez retrouver vos gouttes bleues et blondes pour vous aller cacher sous la terre profonde.

En surgir et vous joindre au plus beau lieu du monde, - ici, devant Fin-d'Oise, Maurecourt, Andrésy, Conflans-Sainte-Honorine : doux bruit font ces noms-là ! branle de cloches pour un hymen, dirait-on pas ?

0 poésie ! ô poésie ! ô poésie !

Paul Fort