Le Club a édité trois tomes "Les Anciens racontent Andrésy". Le premier est épuisé et les lignes qui suivent en sont extraites...


Gabrielle Taillefer
est née en 1912. Elle fait partie des "Anciens d'Andrésy" que le CHA a interviewés dès 1993. Exploitante agricole, elle a toujours vécu à Andrésy et ses souvenirs font pour nous partie de l'histoire de notre commune. Son franc parler nous a permis d'apprécier les anecdotes qu'elle nous relate...
Elle nous a quittés fin 2005...

CHA : Parlez-nous des cultures
Gabrielle Taillefer : On faisait des légumes, un peu de grain, du fourrage pour le cheval. C'était une toute petite ferme ici. Tous les jours des poireaux ! On faisait aussi des pois. A Chanteloup, il y avait encore quelques vignes. Le père Villeneuve en avait dans son jardin, il faisait même du tabac. Il n'en a jamais manqué. Il y a encore les clous ici d'ailleurs.

CHA : Et le pont suspendu de fin d'Oise ?
GT : Je vais vous raconter. On faisait des pommes de terre, on les menait à la féculerie à Conflans. On mettait 30 sacs de patates (1500 kg), c'est ce qu'un cheval pouvait tirer dans le tombereau. Papa conduisait le cheval, j'étais derrière à la mécanique (le frein). J'avais une trouille... Le pont baissait bien d'un mètre cinquante, oh là là ! Je restais de l'autre côté du pont. Quand il était passé, je cavalais pour le rattraper. Ça descendait de l'autre côté. "Serre la mécanique bon sang !" me disait-il. Je me rappelle toujours ce maudit pont, tout le monde avait peur.
Quand on était en exode, ils avaient fait un bac juste en dessous. On est revenu une fois d'Aigremont avec nos pommes sur ce tout petit bac. Tout le monde poussait derrière la carriole pour la remonter sur la berge.

CHA : Jusqu'à quand a-t-on lavé le linge dans la Seine ?
GT : Longtemps. Moi j'ai lavé là quand j'étais gosse avec maman. On descendait tout le linge au bord de l'eau avec des brouettes et on le tapait dans la rivière, on le brassait et ainsi de suite, c'était le lavoir. Maman a été laver jusqu'à ce qu'elle ait de l'eau dans sa maison. Mes parents ont fait mettre l'eau en 1920, à peu près.

CHA : Et le bateau-lavoir ?
GT : Ça, c'était autre chose. Maman y a travaillé comme blanchisseuse. Il était amarré près de l'ancienne poste. C'est une péniche creuse avec des planches, des lavoirs tout autour. Et ils chauffaient. C'étaient des blanchisseurs. Martin, le bedeau, demeurait exactement à côté de chez ma grand mère. C'est sa belle mère qui entreprenait le lavage. Ils lavaient le linge de la "belle Otero". Maman me disait : "Tu te rends compte, elle avait des draps en soie !". Elle demeurait dans la grande maison où habitera Mme Lefort plus tard ; on y fera les kermesses paroissiales. C'était chez Johnson. Elle donnait son linge au bateau, maman y travaillait avec d'autres.

CHA : Et les "cavalcades" de 1929 ?
GT : Je n'y ai pas participé, j'ai quitté l'école en 1925. On se baladait dans le pays à la Fête-Dieu avec des roses, des reposoirs. Il y avait une chapelle en bas de la côte de Denouval. On passait dans le parc Briançon avec le curé, on faisait la procession.

CHA : Et la commune libre de Denouval ?
GT : Alors ça, c'est encore autre chose, je vais vous raconter. C'est "Bouboule" qui avait fait ça, il s'appelait Georges Legrand. Les autres l'avaient nommé "maire de Denouval" parce que c'était un rigolo, un bon vivant ! On allait boire le coup chez lui, manger des gâteaux, faire la fête...

CHA : Et le 14 juillet ?
GT : Il y avait un bal, le défilé des pompiers, de la musique dans tout le pays avec des lampions. Chez nous, les gosses décoraient le balcon avec des viornes et des lampions.

CHA : Et à la Civette ? (aujourd'hui Caisse d'Epargne Ecureuil)
GT : Dans la salle de la Civette, il y avait un drôle de parquet. Il y avait des fêtes, la Sainte Cécile, la Sainte Barbe qui existent toujours.

CHA : D'autres animations ?
GT : Il y avait un bal, des manèges : chevaux de bois et balançoires. La mairie organisait des jeux le lundi, on n'oubliait pas d'y aller car on gagnait des sous ! Monsieur Gourlin, le maire de l'époque, donnait de l'argent à tous les enfants, de sa poche ! Il y avait des jeux : courses en sacs, manger de ficelle, concours de grimaces…
Et le "mai", le 1er mai ! Ils mettaient "le mai" chez les conseillers municipaux. On leur accrochait "le mai" au mur, des branchages en croisillon. C'était l'occasion pour que le conseiller régale toute la galerie : gâteaux, coups à boire, une petite pièce pour les conscrits. Le maire avait droit à un arbre assez haut, avec une guirlande ou une couronne. Tous les ans, les gars de la classe faisaient ça, ils ne sortaient pas tous bien frais, il y avait quinze ou seize conseillers environ... Pas un ne faisait défaut. La table était garnie pour les messieurs-dames, tous les voisins du quartier. C'est les conscrits qui faisaient ça, ils "posaient le mai".

CHA : Et dans les écoles ?
GT : Quelquefois des amuseurs arrivaient dans les communes. Les gosses du pays y allaient pour les démonstrations d'animaux savants, des choses comme ça... Il y avait l'arbre de Noël à l'école, on avait tous des cadeaux, des beaux jouets, un petit goûter. On faisait ça dans le préau, là où on faisait la musique, au-dessus.

CHA : Que voyait-on comme films ?
GT : Quand on allait à Poissy avec mes parents, à pied, on n'avait pas de sous pour prendre l'autobus. On en avait pour le ticket de cinéma. On allait à pied. Il y avait des grands films, "Titi le premier roi des gosses" , je me souviens de ce film-là. J'ai vu surtout des films muets.
CHA : … des "Charlot" ?
GT : Evidemment, ça va de soi.
CHA : Il y avait de la musique ?
GT : Oui. Un pianiste jouait. On voyait beaucoup de films à épisodes. Ça incitait les gens à revenir. Le cinéma était toujours bondé l'hiver, mais pas l'été car on n'avait pas le temps.

CHA : Et les bals

GT : Les musiciens étaient toujours trois ou quatre : accordéon, violon, saxo et clarinette, peut-être. Mais quand il y avait le bal de la fête au pays, sous la tente, avec parquet, on dansait mais on n'entendait plus rien, tellement ça faisait de bruit. On était je ne sais pas combien, là-dedans, c'est tassé. Mais on s'amusait bien quand même !
CHA : Et vous reveniez tard ?
GT : Vers 3 ou 4 h du matin. Peu après, on se levait pour partir aux champs. On allait cueillir des pois, c'était la saison d'été. Et maman qui n'était pas jeune, parce qu'elle m'avait eue tard, venait avec nous à pied parce que les mamans accompagnaient leurs enfants.
CHA : Pour vous surveiller...
GT : Oh, vous savez, celles qui avaient envie de "mal faire", n'en avait pas pour longtemps à descendre faire un petit tour sur le boulevard...
CHA : Et le retour ?
GT : Ce n'était pas éclairé. On s'en allait par les murs qui étaient cassés, tout du long, parce que c'étaient des champs d'un bout à l'autre. C'étaient pas les mêmes fréquentations, on n'oserait plus à présent aller dans ces endroits-là la nuit... Dans le temps, on était chez soi partout, on n'était pas méfiants, les portes étaient ouvertes...

CHA : Et le père "la colonne" ?
GT : Cet homme là a sauvé mon papa. Ils étaient copains. Ils étaient allés à Carrières et avaient bu un petit coup, ça arrivait à tout le monde. Ils portaient en ce temps-là des blouses fermées et revenaient de la fête par le bord de l'eau. Papa a glissé, il est tombé à l'eau, et là, c'est profond. Heureusement que le père François, "la colonne", savait nager car il l'a sauvé. Heureusement, me disait-il souvent, sans ça tu n'aurais pas eu de père !
Dans ce temps-là, tout le monde était paysan à Andrésy, tout le monde se connaissait…

Retour